ce matin, dans le métro en face de moi
une top model
cheveux longs châtain doré, frange sur les sourcils
petit nez parfait, bouche juste dessinée, teint égal,
les yeux un peu trop hauts dans la figure
très grands
un cas d'école
des écouteurs dans les oreillles
les fils blancs qui glissent dans l'encolure du caban bien ceinturé
jusqu'à l'i-phone sans arrêt sollicité par
deux grandes, très grandes, trop grandes mains d'homme aux ongles courts
du coup je retourne au visage
oui, non
le menton peut-être un peu long
d'autres indices ?
allez savoir
mais ma conviction est arrêtée, cette fille à podium est un homme
et là où ça se complique
c'est que je me demande pourquoi ça m'intéresse tant
et je sens dans mes regards qui retournent sans cesse vers son visage et ses mains
une question fascinée
et j'y retrouve Jonathan Ames
lui les préfère latinos
les hommes femmes
et les désire physiquement
où je me représente que les sentiments sont comme indépendants
ma fascination interrogative est de la même famille que le désir de Jonathan Ames
pas dans la même dilution
ce qui rejoint l'idée que j'ai eue en relisant La Honte d'Annie Ernaux
ce sentiment d'infériorité sociale qu'elle emmène partout avec elle et utilise pour décortiquer le monde
j'ai idée que tous les adolescents le ressentent
mais chacun avec une coloration spécifique
infériorité de gros, infériorité de timide, infériorité de petit,
infériorité de jeune tout simplement
de l'âge où on se sent irrémédiablement différent, inadapté, à part
et où on ne le vit pas bien
je ne sais pas quoi faire pour l'instant de cette idée
qui me revient régulièrement
cette idée que les idées sont comme des costumes
que chacun accessoirise à sa façon
non
que les idées sont en petit nombre et que chacun les adopte et les adapte
bon
comme donc, je ne sais pas quoi faire de cette idée
je la pose là
je la stocke et vous la soumets
pour y revenir
un jour