Sept ans aujourd’hui.
Tous les chiffres sont magiques, mais certains le sont plus que d’autres.
J’ai laissé passer beaucoup de rendez-vous. Je n’ai pas envie de les compter.
Le temps a rempli son office. Le manque a changé de goût.
Je voudrais éviter les mots trop précis. Le souvenir, lui, n’est pas flou du tout. Je suis ici dans l’appartement d’autres disparus.
Il me semble important de marquer la date. Sept ans. Tellement ! Si peu !?
De dire à ceux qui ont perdu un être cher (c’est fou toutes les formules qui vous tombent dessus dès qu’on aborde ces sujets : les deux bouts de la vie et quelques autres circonstances inévitables), leur dire qu’effectivement le malheur, le chagrin, l’impression d’irréparable et de tout est foutu rien ne sert à rien, adoucissent leurs angles pointus.
Pensant à lui, je pense que Willy aurait été comme moi parcouru d’espoir face au soulèvement têtu des Gilets Jaunes, que je lui aurai parlé du livre de Grégoire Bouillier.
Peut-être aurions-nous discuté de sa lecture du « I am Not Your Negro » de James Baldwin, avec lequel il trace un parallèle.
De cette citation que GB en fait « La question, c’est vraiment cette sorte d’apathie morale et d’absence totale de conscience qui règne jusque chez les gens cultivés et qui est le prix de la ségrégation. »
Sûrement du concept de « racisme économique » …
Ou alors pas du tout. Mon père aurait eu quoi ? 85 ans.
On aurait plutôt parlé de son olivier, des qualités gustatives des murex, d’une recette de cœurs d’artichauts, de ses petits enfants, tous très grands maintenant, de mon prochain bouquin, de son prochain voyage …
(Mais voilà que j'idéalise bien sûr. On aurait parlé, au téléphone, et on se serait perdus dans des histoires de dates et de complications. Je n'aurais pas réussi à aborder Bouillier, on aurait généralisé sur les Gilets, il aurait embrayé - un mot à lui - sur les nouvelles d'un groupe de ses amis que je ne connais pas ... etc.)